Classement : les meilleurs albums de 2023

C'est un des seuls classements qui fasse un peu sens sur un site musical, et bien sûr "La chanson du jour"  n'allait pas demeurer en reste. L'année 2023 a-t-elle été un bon cru ? J'ai la faiblesse de le penser. J'ai donc procédé à un recensement des meilleurs disques classés selon 30 styles musicaux : de la pop francophone au country-folk en passant par l'électro, le rap ou la musique du monde, il y a de quoi faire. Soit la façon idéale d'identifier ce qui vous plaît et de prolonger le plaisir avec dix albums recommandables, du plus génial au plus dispensable. Vous pouvez dès à présent télécharger le top au format pdf. Allez-y, c'est cadeau et c'est facile.

Et pour celles et ceux qui, comme moi, sont plutôt éclectiques, tout ça a bien sûr été compilé dans un top 100 malabar, tous genres confondus. Avec un mot de rappel pour les 20 premiers, des fois que vous auriez oublié.

Le groupe namurois a enfin sorti son premier album. Verdict ? Masterclass, et masta claque. "Les Gens Passent, le Temps Reste". Une autre façon, plus humble, de lire la fuite du temps. Même s'il n'y a « pas d'autre question à se poser », on explorera jusqu'aux tréfonds de l'intime l'âme d'un type qui sait qu'il continuera de douter. Y aura-t-il une suite à ce disque sombre, profond, ambitieux ? Est-ce que ça compte vraiment ? Les textes hip hop ciselés épousent l'électro oppressante et le résultat est miraculeux. À ce stade, tout le reste est littérature.

02. Sufjan Stevens, "Javelin"

Un de nos songwriters préférés délaisse cette fois-ci les projets néo-classiques et les délires ambient faramineux pour revenir à ses propres fondamentaux, à savoir les ballades folk dans la lignée des gigantesques "Seven Swans" ou "Carrie & Lowell'Guitare sèche et banjo en pizzicato, c'est d'abord comme ça qu'on l'aime, notre Sufjan. Mais attention, si vous voulez du baroque, vous en aurez aussi : à chaque morceau de ce nouveau chef-d'œuvre, les cordes sont lâchées et les harmonies ciselées, pour un vrai mur sonore luxuriant. Et pas un gramme de guimauve là-dedans : Sufjan Stevens est juste en très grande forme et c'est magnifique à entendre.

03. The Veils, "... And Out of the Void Came Love"

The Veils, c'est le plus grand des petits groupes et "... And Out of the Void Came Love" est un grand album, pas seulement parce qu'il comprend quinze titres. Tout est bon dans ce cocon, et quiconque aura la bonne idée de s'y blottir pourra constater l'incroyable richesse de ce que le groupe a encore à offrir. On peut ranger cette nouvelle livraison aux côtés des meilleures du passé, avec ses tubes dans le plus pur esprit Veils, ses moments suspendus et ses ballade chatoyantes, sans oublier les indispensables moments plus énervés dans lesquels les harangues de Finn Andrews font toujours mouche. On en avait douté, mais ce groupe a encore le feu sacré.

04. Zaho de Sagazan, "La Symphonie des Éclairs"

Zaho de Sagazan entre sans s'excuser dans la cour des grandes avec un premier album qui tue et confirme l'excellente santé d'une scène french pop sans doute à son prime. Alors oui, son flow sur Tristesse fait penser à Stromae ; oui, ses pulsions synthétiques rappellent Perez ; oui, tout de la démarche à la dégaine évoque la première et meilleure période de Christine & the Queens. Mais il suffit de l'écouter alors sur un piano-voix troublant pour comprendre qu'avec ou sans ses machines, Zaho de Sagazan est juste une très grande artiste.

05. Young Fathers, "Heavy Heavy"

Si l'affaire est pliée en une demi-heure, on ressort quand même lessivé. Le trio écossais nous invite en effet à vivre un trip sans temps mort, une transe tribale qui pallie avec brio l'absence tant déplorée de TV on the Radio. De l'électro-pop au noise rock, en passant par le hip hop alternatif et la soul, « tout saute, tourbillonne, voltige dans vos oreilles pour finir par atterrir miraculeusement dans votre assiette ». Si ça n'a déjà été fait, ruez-vous à corps perdu sur les dix titres de "Heavy Heavy" : c'est effectivement du lourd de lourd.

06. Peter Gabriel, "i / o"

Événement annoncé à grand renfort de teasing lunaire  littéralement : une nouvelle chanson dévoilée à chaque pleine lune –, cet album du génie Peter Gabriel était attendu depuis vingt ans. Le résultat dépasse les attentes : un disque-somme sculpté jusque dans les moindres détails, une perle d'orfèvrerie baignée dans de somptueux arrangements de cordes, des enchevêtrements de synthé millimétrés et des rythmes fascinants. 

07. Lana Del Rey, "Did You Know That There's a Tunnel Under Ocean Blvd"

On ne peut désormais plus être déçu par un album de Lana Del Rey. Ici les incursions hip hop sont distillées avec maestria, la beauté reste précieuse et inquiétante, avec cette ambiance néo-noir encore prégnante. Mais la domination du piano et des voltiges vocales toujours plus audacieuses renforcent l'impression d'un faux apaisement. Car si la forme est caressante, le fond n'en est pas moins sombre. Lana offre ainsi des ballades sur la corde raide, entre rire nerveux et gravitas, avant que ladite corde ne serve de jeu d'enfant ou d'instrument de pendaison, selon l'humeur d'une artiste tour à tour mutine, mystique, et follement iconique. 

08. Etienne Daho, "Tirer la Nuit sur les Étoiles"

Le cru Daho 2023 est un petit chef-d'œuvre. Ce disque frôle la perfection et renoue avec les sommets atteints par "Eden" ou "Corps et Armes", pics de suavité que ses deux successeurs n'avaient plus réussi à tutoyer. Depuis, la discographie de Daho a taillé d'autres bijoux mais le dernier en date brille avec un éclat plus remarquable, fût-il nocturne. Quand il s'agit de chanter l'amour et le désir, Daho est un des archanges du game.

09. Anohni & the Johnsons, "My Back Was a Bridge for You to Cross"

Anohni a reformé les Johnsons. Finies, les fugues électro radicales, l'artiste revient à son core business : la torch song  enrichie en frissons de toutes tailles. "My Back Was a Bridge for You to Cross" est une petite merveille, un vrai album des Johnsons qui retrouvent définitivement leurs fondamentaux : tout, de la production au visuel, nous invite à dessiner un pont d'Einstein-Rosen virtuel pour retrouver le groupe dans sa verve passée, comme si les dix dernières années n'avaient pas existé. Et pourtant, que ces chansons-là nous avaient manqué !

10. Sigur Rós, "Átta"

Chaque morceau de Sigur Rós est nouvelle exploration d'un lac, d'un volcan, d'un fjord, vibrant à l'unisson de nos douleurs intimes, de nos aspirations profondes ou de nos élans vers l'absolu. La musique du groupe islandais est peut-être, dans l'océan de la créativité humaine, ce qui se rapproche le plus d'une forme de magie mythologique, autant qu'elle est un miroir tendu vers l'infini. Il y a quelque chose chez ces gens qui transcende la dimension matérielle et rend leur art à la fois spirituel et peuplé d'influx électriques. Une singularité qui aspire tout dans son champ gravitationnel, au-delà de quoi plus rien n'est intelligible, ni réductible à la physique. Avec "Átta", Sigur Rós offre une heure de pure élévation, entre traversées subjuguées, horizons désolés et pauses méditatives, nous rappelant au gré de secousses surréelles que sa musique se situe à la frontière même du rêve éveillé.

11. PJ Harvey, "I Inside the Old Year Dying"

Quand PJ Harvey chante, le monde s'arrête de tourner pendant trois minutes au moins. Même depuis qu'elle fait dans le pastoral, PJ reste, dans sa catégorie, le genre de femme qu'on ne compare pas aux autres femmes. Poétesse folk, barde nocturne, l'Anglaise nous emmène dans une danse macabre et bucolique. Elle y fait le deuil presque joyeux de ses versions passées, sans cesser d'être l'artiste du présent qui a envoûté le Cirque Royal.

12. Arlo Parks, "My Soft Machine"

Arlo Parks fait partie de ces chanteuses de soul urbaine qui, sous le ciel maussade d'Angleterre, n'arpentent forcément pas le pavé avec les mêmes mélodies dans la tête que leurs coreligionnaires américaines, reines du caliente. Enchaînement ininterrompu de pépites, le deuxième album d'Arlo la sacre comme une championne du spleen. Comme elle a en outre le bon goût de varier les ingrédients de sa musique immédiate mais consistante, on aurait parfois presque envie de danser – mais en pleurant, alors  sur ses hits de poche.  

13. DM Stith, "Fata Morgana"

"Fata Morgana" nous permet de renouer avec une certaine manière de pratiquer l'indie folk, comme un reste fossilisé de grande époque qu'on croyait disparue. Troisième album en seulement quinze ans pour ce camarade de jeu de Sufjan Stevens, mais la beauté s'immisce à chaque seconde et on traverse ce disque sublime en état d'apesanteur, entraîné dans un univers onirique et moelleux qui nous protège comme un cocon. 

14. Janelle Monáe, "The Age of Pleasure"

Loin des clichés d'un r'n'b d'autrefois, Janelle Monáe a entériné le crossover et contribué à voir ce genre acquérir ses lettres de noblesse. La star du Kansas prend des vieilles casseroles et y fait mariner un incroyable bouillon de culture, un mix d'influences tous azimuts qui se conjuguent pour le meilleur sur cet album dansant et hédoniste. Le timbre charnel de Monáe s'adapte aux changements rythmiques tandis qu'elle passe indifféremment du chant au rap, pour un résultat irrésistible. Un des albums les plus feel-good  de l'année, et sans conteste le plus sexy.

15. dEUS, "How to Replace It"

Comment remplacer l'irremplaçable ? Sans répondre totalement à la question, dEUS renoue avec les sonorités de "The Ideal Crash". Si on a vénéré le génie d'hier, on n'en est pas moins reconnaissant de la générosité d'aujourd'hui. Le groupe anversois revient en pleine forme après onze ans d'absence discographique et, entre rock perché et slows sensuels, offre une des meilleures collections de chansons de sa vie d'après.

16. L. (Raphaële Lannadère), "Cheminement"

Dans le paysage musical français, L. est une artiste pour fins gourmets, une femme dont la distinction un peu froide pourrait la faire passer pour snob, mais témoigne d'abord de son pedigree : en gros, disons qu'elle est plus Barbara que France Gall. Ce « cheminement » vers une singularité toujours plus affirmée l'a surtout vouée à une relative confidentialité : L. trace sa route et on la suit dans son errance sans se poser de question. 

17. The Kills, "God Games"

Entre Alison Mosshart et Jamie Hince, on pensait l'aventure musicale consommée. Que nenni ! Les Kills ont retrouvé leurs sensations et la complicité est intacte. Boîte à rythmes cracra, riff bien lourd, et bien sûr la voix d'Alison qui vous emmène tout ça loin du tout-venant. Toutes les chansons de "God Games"  sont de petites pépites de rock sulfureux qui ravivent la pulsion élémentaire du mélomane : appuyer sur le bouton « repeat ».

18. Beirut, "Hadsel"

Comme on sait Zach Condon sur la corde raide, souvent au bord de l'épuisement, le seul fait qu'il continue à produire de la musique suffit à notre bonheur. Toujours aussi panoramique que ses prédécesseurs, "Hadsel"  album essentiellement axé autour de l'orgue  est beau comme une âme d'enfant et ravive aussi l'envie de visiter ces paysages qu'on fantasme depuis toujours comme des havres de paix. À l'instar de Bertrand Cantat avant le drame, Condon semble nous dire que lui aussi, il peut nous « en faire voir de la sérénité ».

19. Karkwa, "Dans la Seconde"

Treize ans après le dernier disque de Karkwa, que reste-t-il de leurs mélodies bancroches et de leur poésie aérienne ? La réponse est dans ce nouveau disque inespéré, soit huit nouvelles chansons qui nous prennent par surprise tant par leur côté aventureux que par leur fidélité au passé. Le combo de Montréal ne fait pas vraiment dans l'évidence et, dans sa manière de superposer les couches sonores, privilégie la suggestion à l'explicite. Plus que jamais groupe impressionniste, Karkwa continue d'avancer et n'a décidément rien perdu de son impact.

20. Mitski, "The Land Is Inhospitable and So Are We"

Toujours là où on ne l'attend pas, Mitski Miyawaki nous a enchanté avec ce disque de folk dépouillé aux accents gospel. La chanteuse nippo-américaine y excelle en conteuse de feu de camp et je connais plus d'un scout qui aurait aimé l'avoir pour la soirée des promesses. Un virage particulièrement apaisé de la part de cette artiste insaisissable, experte dans l'art du revival eighties bien fichu, mais qui sait aussi se faire nerveuse. Ses ballades s'écoutent comme des missels de poche pour les après-soirées déprime arrosées à l'alcool triste.

BONUS : Florent Marchet, "Maisons Alfort"

Parce que ce disque est hors catégorie, on l'a un peu trop hâtivement exclu du classement. Ni véritable best of, ni véritable album live, il voit simplement Florent Marchet  auteur du meilleur album de 2022  reparcourir l'ensemble de sa carrière sur le mode du piano-voix. Et qu'est-ce que vous pensez qui se passe ? Eh bien c'est juste extraordinaire. L'émotion est au rendez-vous, les arrangements  ou leur absence  sont parfaitement autosuffisants, et c'est donc un must absolu. On s'en voulait de faire comme si ce disque n'avait pas existé.



Pour continuer à explorer ce top 100, n'oubliez pas de télécharger le pdf. À demain pour la fin de nos aventures !

Commentaires

Marc a dit…
En volà un classement qu'il est bien. Direct et sans chichis, subjectif mais indiscutable. On a des doubles qu'on pourra échanger à la récré.

On le dit presque tous les ans mais pour peu qu'on creuse un peu, ce sont toujours de très belles années. Merci d'en avoir fait la chronique quotidienne d'ailleurs.

Le top des tops est toujours un plaisir, un peu stressant sans doute pour ceux qui seraient sujets au FOMO. Mais c'est passionnant d'avoir un panorama aussi large.
Laurent a dit…
Merci pour les retours réguliers et les sources d'inspiration. ;-)

Indiscutable je ne sais pas, ce qui est sûr c'est que le classement a beaucoup bougé ces dernières semaines au fil des réécoutes. Celui de l'an dernier me semble avoir tenu l'épreuve de la (courte) durée, donc je suis curieux de voir ce que ça redonne dans un an.

Mais oui, il faut dire en effet que les bons crus se suivent, avec facile 5 lifetime classics par an.