Le hiatus est-il l'ennemi du culte ? Dans le domaine musical, la question mérite d'être posée dès lors qu'on se souvient du drame : après "The Ideal Crash", son chef-d'œuvre de 1999, dEUS s'est absenté pendant six longues années avant de revenir avec "Pocket Revolution" et quelques remaniements plutôt radicaux. Entre-temps, mon idolâtrie d'adolescent s'était assagie, mais il faut dire que la musique du groupe aussi.
Je peux difficilement vous décrire ce que représentent pour moi les trois premiers albums de dEUS. Il y a bien une expression dans la langue française, mais elle est un peu galvaudée. Allez tant pis, je me lance : « C'est toute ma jeunesse ! » Et quand cette jeunesse s'est enfuie avec les clés de l'appart', ça a été difficile de se rabibocher tout à fait. Comment retrouver les sensations d'autrefois ? Impossible de juger les albums des Anversois parus au 21e siècle sans voir planer l'ombre tutélaire de leur incroyable triplé des nineties. Que dire alors, maintenant qu'ils reviennent au bout de... onze ans ? Onze ! La question hante ce huitième opus : "How to Replace It". Oui, comment remplacer l'irremplaçable ?
Le premier âge de dEUS est révolu, ça on l'a compris il y a longtemps. Et en fait, le deuxième âge aussi. Car ce dernier hiatus a permis l'avènement d'une ère inédite. Tom Barman et ses acolytes ont fêté les vingt ans de "The Ideal Crash" en rejouant intégralement l'album pour une série de concerts à l'Ancienne Belgique, et ça apparaît ici comme une évidence : sur "How to Replace It", ils renouent parfois (un peu) avec ses sonorités. Je n'ai évidemment pas le recul suffisant pour déterminer si ce disque est voué à nous procurer longtemps les mêmes émotions, d'autant que l'immédiateté n'a jamais été le fort de dEUS. Mais après cinq ou six écoutes consécutives, je peux vous l'affirmer : c'est un bon disque.
Le choix de la chanson du jour a donc été difficile, tant était grand l'embarras entre rock fiévreux (Man of the House), ballade efficace (Love Breaks Down) ou intensité passive-agressive (Pirates). Mais il y a, surtout, deux chansons immenses sur "How to Replace It". La première, éponyme, nous emmène sur les traces de Francis Lai avant que Barman ne balance son spoken word habité sur fond de tambours de Fort Boyard ; déboulent ensuite la guitare du revenant Mauro Pawlowski et une trompette complètement incontrôlable. On n'est pas si loin de Turnpike, et qu'est-ce que c'est bon !
Puis, pour conclure le voyage, le groupe refait le coup du texte en français. Le Blues Polaire convoque la voix de Lies Lorquet, bassiste des camarades de Mintzkov et guest star récurrente. On pense à Instant Street quand le morceau, après un intermède glauque, trouve toute son amplitude, même si son propos se veut plus tragique et donc moins enclin à la folie. Deux chansons pour le prix d'une aujourd'hui, avouez que l'offre est irrésistible ; mais que diriez-vous si je vous l'échangeais contre votre baril d'Ariel ? Non bien sûr, on ne remplace pas l'irremplaçable. Mais si, chez dEUS, on a vénéré le génie d'hier, on n'en est pas moins reconnaissant de la générosité d'aujourd'hui. Et rien que pour ça, on ira encore leur dire merci à l'Ancienne Belgique dans un mois.
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