Classement : les meilleurs films de 2023

Eh oui, vous ne vous y attendiez sans doute pas à celle-là... Mais au moment de rédiger le traditionnel top de l'année, je me suis rendu compte qu'il restait une demi-page blanche alors je me suis dit : pourquoi ne pas conseiller aussi quelques bonnes œuvres cinématographiques ? Après tout, quand on regarde en moyenne un film par jour, ça en fait une flopée sur l'année. Autrement dit, j'en ai vu des daubes ! Si vous voulez savoir quoi fuir, évitez de perdre deux heures de votre vie sur les dix dernières sorties Marvel et DC, un certain film de Gaulois ou les trois quarts des productions estampillées Netflix (mais il y a des exceptions, on y reviendra).

Il me semble que cette année a marqué un petit tournant dans le game  cinématographique. Notablement, six des films de mon top 10 sont l'œuvre de réalisatrices, au même titre que le carton "Barbie"... qui n'est évidemment pas dans mon top 10. Ni 20. Ni 50. Ce changement de paradigme nous offre beaucoup d'œuvres fortes et montre que les lignes bougent pour le meilleur. Et puis surtout, il y a eu la grève à Hollywood.

Ce mouvement social devrait avoir un impact à moyen terme sur le paysage filmique : ces derniers mois, plusieurs blockbusters ont possiblement souffert de l'absence de promo, ainsi que de sorties précipitées avec des échéances déraisonnables qui influent visiblement sur les finitions (c'est quoi ces effets spéciaux pourris en 2023, sans déconner ?). Par ailleurs, les petits studios n'ayant pas connu ce genre de problème  puisqu'ils rémunèrent correctement leurs employés – alors que les majors ont dû annoncer de nombreux reports, on risque de voir de plus en plus de films indépendants accéder à une visibilité inédite dans les mois prochains. 

D'autant plus que bon nombre de grosses machines se sont ratatinées au box-office (le pourtant potable "Indiana Jones 5" par exemple), sonnant le glas d'une ère vouée à s'élider avec un ras-le-bol généralisé des franchises. Les super-héros, en particulier, sont désormais sous respirateur artificiel. Iron Man ? Iron Lung, surtout. Et puis il y a eu le (ridicule) phénomène "Barbenheimer", qui a vu des gens aller au cinéma pour pouvoir, comme on en voit dans certains concerts, créer un narratif de leur sortie culturelle sur les réseaux sociaux. Ça a fait du bien au cinéma mais pas à Tom Cruise, dont le plutôt chouette "Mission Impossible 7"  a fait les frais de cet engouement.

Bref, j'ai regardé des films en 2023 mais l'approche est loin d'être aussi exhaustive que pour les disques. Par exemple, je n'ai pas encore vu les derniers films d'Hayao Miyazaki ("Le Garçon et le Héron") et Yorgos Lanthimos ("Poor Things") qui devraient logiquement être ma came. Voici donc une liste subjective des 20 meilleurs films sortis en 2023. Elle subira sans doute des retouches dans les mois à venir, mais je vous recommande toutefois chaleureusement chacune de ces œuvres, très majoritairement françaises et américaines.


01. "Anatomie d'une Chute"  de Justine Triet

La Palme d'Or cannoise est un bijou. D'analyse de couple, d'analyse de l'appareil pénal, d'analyse de l'appareil médiatique. Tout y est vu sous le prisme du récit, si bien que le spectateur n'a d'autre choix que de faire comme le jury du procès qui se joue sous ses yeux, en forgeant en son âme et conscience son intime conviction. Les performances de Sandra Hüller, d'Antoine Reinartz dans le rôle de l'avocat général et du jeune Milo Machado Graner sont époustouflantes. La réalisation, sobre, clinique, froide de réalisme, classe Justine Triet parmi les maîtresses du thriller, quand bien même ce film est aussi et d'abord un portrait de famille.  



02. "Je Verrai Toujours Vos Visages"  de Jeanne Herry

Si ce film ne rafle pas une chiée de Césars, il faut manifester. La seule raison pour laquelle il n'est pas en première place de ce classement est le côté somme toute peu remarquable de la réalisation de Jeanne Herry, qui met simplement en place plusieurs séances de justice restauratrice : « un sport de combat », soit des rencontres entre victimes et auteurs d'infractions sous l'œil bienveillant des médiateurs. En revanche, la direction d'acteur est incroyable. Adele Exarchopoulos est bouleversante. Leïla Bekhti est bouleversante. Gilles Lellouch aussi. Et j'ai les larmes aux yeux rien qu'en repensant à la performance de Miou-Miou. Une pure merveille.



03. "Oppenheimer"  de Christopher Nolan

Bon, ne tergiversons pas. Les Américains aiment les success stories, donc le carton (mérité) d'"Oppenheimer"  au box-office (merci Barbie) devrait entériner son futur triomphe aux Oscars. La réalisation de Nolan est évidemment celle d'un des plus grands visionnaires de l'histoire du cinéma, mais il a pu s'appuyer ici sur des atouts supplémentaires : la performance exceptionnelle de Cillian Murphy dans le rôle éponyme, celles d'Emily Blunt et de Downey Jr. qui brillent dans les rôles secondaires, la bande-son folle, le montage délirant, les effets spéciaux. J'ai compté, ça fait au moins 8 statuettes pour ce chef-d'œuvre du biopic. Les paris sont ouverts. 



04. "Reality"  de Tina Satter

Passé relativement sous les radars, le premier film de Tina Satter (sorti dans quelques salles et sur la plateforme HBO Max) est celui qui m'a le plus révolté. Son propos est assez original puisque les dialogues du film reproduisent à la virgule près la retranscription d'un interrogatoire réalisé il y a quelques années à peine par le FBI. Je ne déflorerai pas davantage le contenu de l'intrigue, mais sachez qu'elle met en lumière, de façon inquiétante pour le « monde libre », le deux-poids-deux-mesures d'une société américaine moribonde.



05. "Past Lives"  de Celine Song

Autre film dont personne ou presque n'a parlé cette année, alors qu'il fait indéniablement partie de ses sommets. Avec une mélancolie et un sens du non-dit qui rappellent le "In the Mood for Love" de Wong Kar-wai, la Coréenne Celine Song dessine, dans sa première œuvre pour le cinéma, un triangle amoureux qui convie les notions de destin et de choc des cultures. Entre la première scène, parfaite, et la dernière, déchirante, la réalisatrice joue sur nos interrogations et fait passer, rien qu'avec les regards de ses personnages, mille nuances émotionnelles. 



Ah oui : en plus, la chanson du générique est interprétée par Sharon Van Etten. C'est vous dire si j'ai kiffé.



06. "Killers of the Flower Moon"  de Martin Scorsese

Le maître a encore frappé, à 81 ans. Film-somme qui ne se départ pas de quelques légères longueurs, "Killers of the Flower Moon"  s'offre les services d'un trio d'acteurs qui déchirent. Si De Niro et Di Caprio sont comme toujours parfaits – l'un par son talent pour la manipulation, l'autre avec sa mine de bouledogue défait , la vraie révélation est ici Lily Gladstone, dont les déboires placent le spectateur en état permanent d'empathie pour le peuple Osage, moins victime de spoliations et d'exactions que de l'effroyable indifférence de l'histoire. Scorsese opère un travail de mémoire essentiel, allant jusqu'à l'incarner dans son formidable épilogue.



07. "Saltburn"  d'Emerald Fennell

J'ai passé une bonne partie de ce film à penser aux étranges similitudes stylistiques – et partiellement scénaristiques  qu'il entretient avec le brillant "Promising Young Woman". Avant de me rendre compte que les deux œuvres sont signées par la même réalisatrice. On y suit à nouveau un antihéros aux intentions floues et à la moralité ambiguë, dans un déluge d'images inconfortables. Brouillant les pistes pour mieux mettre en scène une sorte de lutte des classes mi-feinte, Fennell nous livre in fine  les pensées de son personnage : « Accidents are for people like you ; for the rest of us, there's work. » Avant de conclure son film sur une scène de danse proprement inoubliable. L'érotisme malsain, entretenu par ces gros plans de peaux en sueur et quelques scènes parfois un peu trop graphiques, est au service d'un visuel impressionnant  au format 4:3 – et non l'inverse.



08. "Asteroid City"  de Wes Anderson

Dans la série « all style and no substance », beaucoup ont reproché à Wes Anderson de trop en faire avec son dernier long-métrage, au détriment de l'histoire. Sauf que. Deux choses. Primo : mais quel style ! Visuellement, "Asteroid City"  fait partie de ce que le réalisateur a livré de plus beau et chaque plan est un festin pour l'œil. Secundo, les détracteurs ont tort car ce film possède un sous-texte philosophique, certes pas assez exploité ou du moins trop ouvert à l'interprétation, mais qui nous laisse réfléchir encore longtemps après son ultime travelling.



09. "Yannick"  de Quentin Dupieux

Le douzième film de Quentin Dupieux  qui les enchaîne désormais au rythme de deux longs-métrages par an ! – occupera sûrement une place à part dans sa filmo. Moins déjanté et plus touchant, "Yannick"  vaut surtout pour le caractère de son personnage éponyme. Bien sûr, certaines scènes brillent encore par leur absurdité, mais on retiendra d'abord le sourire de Yannick en coulisses, sa revanche sur le mépris de l'intelligentsia, et la fin ouverte de ce film drôle et malin. La faute doit sans conteste échoir à Raphaël Quenard, haut-la-main l'acteur de l'année (il joue dans trois films de cette liste), qui livre une partition parfaite et rend crédible cette histoire bien barrée.



10. "L'Amour et les Forêts"  de Valérie Donzelli

Au début, on a bien du mal à encaisser les ficelles de champ-contrechamp qui veulent nous faire avaler Virginie Efira dans le rôle de deux jumelles. Mais comme on suit très vite la seule histoire de Blanche, on est aussitôt happé par la caméra de Donzelli, qui explore la vie amoureuse de son héroïne avec un jeu de lumières subtil et un female gaze  empathique. Les mécanismes de la perversion narcissique, incarnés par un terrifiant Melvil Poupaud, sont montrés à travers des ellipses qui permettent d'installer progressivement l'emprise, des signes avant-coureurs jusqu'aux red flags  les plus énormes, avant l'arrivé de la violence psychique la plus abjecte.



11. "The Holdovers"  d'Alexander Payne

Connu également sous le titre de "Winter Break", le film nous plonge dans un internat du Massachusetts durant les années 70. L'antipathique et alcoolique professeur de grec joué par Paul Giamatti va devoir jouer les nounous pour quelques garçons obligés d'y passer les vacances de Noël, en compagnie d'une cuisinière endeuillée. Ça sent la comédie de Noël et c'est finalement tout autre chose que nous offre le réalisateur de "Nebrasaka". Un film sensible qui n'oublie pas d'être drôle et nous rapproche peu à peu d'un trio de personnages attachants.



12. "Spider-Man : Across the Spider-Verse"  de Joaquim Dos Santos

La suite du "Into the Spider-Verse"  de 2018 est une nouvelle pépite d'animation qui exploite à fond le concept du multivers, à mille lieues donc du "Doctor Strange"  sorti l'an passé. À chaque dimension parallèle son style graphique, et c'est leur télescopage qui crée l'orgie visuelle à laquelle le spectateur est convié durant 140 minutes qui passent en un éclair. Grâce aussi à une bande originale qui tue. Vivement le troisième volet !



13. "Dream Scenario"  de Kristoffer Borgli

Le réalisateur norvégien ("Sick of Myself") a trouvé en Nicolas Cage le parfait véhicule pour son imagination débridée. Beaucoup plus sobre qu'on pourrait le croire, Cage incarne un professeur frustré qui, du jour au lendemain, se met à apparaître dans les rêves de presque tout le monde. En résulte une histoire haut perchée qui rappelle "Being John Malkovich" ou les films de Dupieux. S'y mêlent des moments hilarants (une scène de sexe noyée dans l'œuf) et d'autres tantôt horrifiques, tantôt très touchants, qui mettent un homme simple face à ses contradictions et le confrontent au bilan d'une vie dont il peine à être véritablement acteur, comme dans un rêve.



14. "The Fabelmans"  de Steven Spielberg

Grande lettre d'amour au cinéma, cette autofiction spielbergienne nous offre son lot de moments forts : le premier émoi en salles, les réalisations de l'enfant passionné, la revanche de l'adolescent harcelé par l'art et la caméra. Il faut aussi citer un dernier plan absolument génial et la performance impeccable de Michelle Williams en mère tourmentée. Un Spielberg faussement mineur à ranger parmi les sommets de sa filmo, qui en compte déjà tant. 



15. "Babylon"  de Damien Chazelle

Autre déclaration d'amour au cinéma, le "Babylon"  de Damien Chazelle se focalise moins sur l'intime mais dévoile la naissance d'une industrie dont il entend montrer toute l'effervescence, la démesure et la décadence. Certaines scènes sont un peu too much  mais on reste soufflé par le talent du réalisateur dans les scènes d'hystérie collective (on se souvient du prologue de "La La Land"). Margot Robbie y est bien plus impressionnante que dans "Barbie"  et Brad Pitt confirme à quel point il se bonifie avec l'âge. Un film inégal donc parfois brillant.



16. "Vampire Humaniste Cherche Suicidaire Consentant"  d'Ariane Louis-Seize

Le programme du film est contenu dans son titre et les promesses sont tenues. Oui, c'est bien l'histoire d'une vampire qui ne veut pas tuer pour se nourrir et préférerait que son repas passe à la casserole de son plein gré. On pense beaucoup au "Grave" de Julia Ducournau, qui nous montrait de la même manière l'éveil du désir chez une adolescente refoulant ses pulsions cannibales, et puis évidemment au chef-d'œuvre suédois "Låt den Rätte Komma in", sauf qu'on a davantage affaire ici à une comédie noire et qu'on y rit plutôt franchement. Ajoutons qu'il s'agit d'un film québécois avec son lot de « calisse », « tabernac' » et autres « crisse », si bien qu'une infime partie des dialogues m'a semblé incompréhensible. Mais ça fait aussi partie du charme de ce film artisanal.



17. "Bastarden"  de Nikolaj Arcel

Dans cette saga danoise crépusculaire, le toujours formidable Mads Mikkelsen incarne un capitaine venu coloniser les landes sauvages au nom du roi Frédéric V. Une entreprise qui lui coûtera beaucoup et nous donnera à voir une grande fresque historique qui n'a rien à envier à Ridley Scott en matière de plans épiques.    



18. "Chien de la casse"  de Jean-Baptiste Durand

Encore une fois remarquable, Raphaël Quenard brille en petit dealer de village qui cite Montaigne et s'exprime dans un français châtié contrastant avec sa vie sans ambition. Son amitié avec Dog sera perturbée quand ce dernier tombera amoureux d'une fille de passage, l'obligeant à remettre en question ses repères. La relation des deux héros  et accessoirement celle qui les lie au chien Malabar  fait tout le sel de ce film rêche et serré.



19. "Air"  de Ben Affleck

Les films de true events  constituent à Hollywood un genre en pleine effervescence. L'année 2023 nous en a offert son lot avec entre autres "Blackberry""Dumb Money" ou encore "The Beanie Bubble", des pastilles feel-good qui parviennent chaque fois à traiter leur sujet avec le minimum de faits authentiques, misant davantage sur les effets avec la juste dose de romantisation et d'humour pour faire passer au spectateur un excellent moment tout en l'instruisant vaguement. Dans cette catégorie, j'ai préféré "Air", où le Petit Poucet est absurdement incarné par... Nike. Malgré le cynisme de ce postulat, on découvre avec bonheur l'histoire vraie du visionnaire qui a réussi à décrocher, avec Michael Jordan, le contrat le plus juteux de l'histoire du sponsoring sportif.



20. "The Killer"  de David Fincher

Globalement décrié, le dernier Fincher n'en demeure pas moins une démonstration de virtuosité de la part d'un des plus grand faiseurs de thrillers de la préhistoire à nos jours. Certes, le scénario ne casse pas trois pattes à un canard gavé, mais la précision chirurgicale de la réalisation et les réflexions nihilistes de l'antihéros  parfaitement campé par un Michael Fassbender glaçant  suffisent à nous faire passer deux heures absolument captivantes. 



Avec d'autres thrillers comme le très bon "Reptile" et le parfois intéressant "Leave the World Behind" – mais aussi, dans le genre du biopic, les plutôt jolis "Maestro"  et "Nyad", on a donc pu constater qu'il restait encore deux ou trois choses potables à voir sur une plateforme comme Netflix. Toutefois, la multiplication des services de streaming  mèneront-ils bientôt le spectateur dans une impasse ? Le nombre de bouses balancées cette année par le grand « N » est, en comparaison, un peu plus inquiétant. On n'aime pas les situations de monopole, donc espérons qu'aucun géant ne téléguidera les goûts du public comme c'est trop souvent le cas avec Spotify et ses playlists sans âme, et gageons que les salles obscures nous offriront encore leur lot d'émotions fortes en 2024.


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