La chanson du 6 juillet : Speech Debelle - Wayward

C'est quand même extraordinaire, les nuances culturelles. Toute cette richesse, ça ne cessera jamais de me surprendre. Ce n'est pas la première fois que je radote sur la différence flagrante qu'on peut relever entre les musiques urbaines d'Outre-Atlantique et d'Outre-Manche ; et si par ailleurs, vous avez un peu suivi les derniers épisodes de notre saison 6, vous aurez compris de quel côté mon cœur balance. Parce qu'elles sont vraiment terribles, les rappeuses anglaises : il y a tellement d'âme dans leur hip hop, tellement de fond. Et la forme est à mille lieues de ce qu'on nous propose généralement sur le continent américain. Enfin... mille lieues, pas exactement : 6848 km d'après mon atlas, sans tenir compte de la tectonique des plaques.

Bref. Speech Debelle fait partie de ces chanteuses très confidentielles par chez nous mais qui sont un peu plus prophétesses en leur pays. Détentrice d'un Mercury Prize décerné à son premier album "Speech Therapy", Corynne Elliott s'est faite par la suite de plus en plus discrète. Au Royaume-Uni, elle est passée d'étoile montante à « qui ça, déjà ? ». Donc vu d'Europe, en gros, d'illustre inconnue à fantôme. Comme elle avait disparu de tous les radars depuis Londres jusqu'à la N5 direction Waterloo, son tout frais "Sunday Dinner on a Monday" ressemble donc à un comeback en bonne et due forme. En bonne forme tout court, d'ailleurs. Speech Debelle n'a rien perdu de son énergie mélancolique, le flow ténébreux toujours bien posé sur des instru organiques.

Sur Wayward, elle nous parle possiblement d'addiction, ou peut-être de dépression, ou encore plus simplement du fait de tourner la page. Elle met en tout cas en scène l'incapacité à se raisonner face aux comportements autodestructeurs : « I wanna be healthy but the scars make it hard for me to breathe ». Telle une enfant capricieuse qui se boucherait les oreilles pour ne pas entendre les grands lui faire la morale, elle distille ses nanana face au monde qui brûle, et cette immaturité a des accents plutôt tragiques. Pour arriver à suggérer des images aussi vives avec une telle économie de moyens, il faut être une poétesse aguerrie. C'est pourquoi Speech Debelle nous donne raison sur un point au moins : on a bien fait de retrouver sa trace. 


Commentaires