La chanson du 1er février : Fortune Cookie Club - Changer le Mal de Place

C'est toujours compliqué de faire de la musique « engagée ». La terminologie seule convoie sans crier gare toute une imagerie pas forcément... engageante. On pense aux postures parfois gratuites de Nicola Sirkis, aux discours de rébellion post-acnéique d'un Damien Saez et surtout, ne nous en cachons pas, à Michel Sardou (qui hait cette époque). On le voit bien, cette relation ambiguë qu'on entretient avec le fait politique en musique nous ramène irrémédiablement au rock français. Comment ça, cherchez l'intrus ? Et quand Michel défait son nœud pap' sur la pochette de Bercy '98, c'est pas rock'n'roll peut-être ?



Certes, la voie à emprunter pour dire des choses importantes sans avoir l'air d'enfoncer des portes ouvertes passe par les sentiers sinueux de la poésie. Bob Dylan l'a compris il y a soixante ans et à une époque, Noir Désir représentait ce que le rock français avait de plus crédible dans ce créneau... jusqu'à ce qu'on ait davantage de mal à recevoir des leçons de morale de Bertrand Cantat. Un temps mort et une légion de plagiaires plus tard, l'alternative apparaît enfin comme une évidence : au fond, ils en pensent quoi au Québec, de l'état du monde ?

Fortune Cookie Club, combo punk de Montréal, apporte sa réponse à la question non sans panache. Au départ de son nouvel album, on s'inquiète pour les portes susnommées et on se demande si Olivier Durand, batteur et chanteur de la formation, repassera pour les fermer vu le prix du gaz. Mais l'album s'appelle "Diviser dans les Nuances", et ces nuances bienvenues finissent par faire mouche sur Changer le Mal de Place, titre qui questionne l'auditeur sur son « haillon de lien social » et ce que deviennent ses « vœux pieux d'empathie devant l'émoi ».

J'ai une réceptivité particulière pour les œuvres qui nous surprennent à baisser la garde et nous confrontent à nos propres insécurités, comme le faisait Ren dans la chanson d'hier. Fortune Cookie Club monte le curseur d'un cran en nous fourrant le nez dans nos contradictions, en remuant le couteau dans la plaie de nos peurs et de nos impuissances. Solastalgie, immobilismes propre et figuré, détresse existentielle : « Frôles-tu le néant ? » demandent-ils à nos âmes borderline. Le crescendo nous accompagne dans le malaise jusqu'à l'explosion purgative, un moment fort qui nous ramène à l'intensité regrettée de Karkwa. C'est aussi là qu'arrive le refrain qui remet tout en question : « C'est pas la colère qui... »



Alors « comment faire changer le mal de place » ? C'est parce qu'elle pose la question sans chercher à y répondre que la chanson du jour, en bonne socratique, parvient à être « engagée » tout en évitant certains écueils. Par l'implicite et la double négation, sans doute nous invite-t-elle à envisager la voie de la bienveillance de manière plus concrète, mais sans s'ériger en dogme moral. Ça méritait bien un peu de reconnaissance, même si la manière fait précisément partie du mal : demain, sans doute, on sera passé à autre chose.   

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