Je me répète : quand j'hésite, des semaines durant, pour savoir quel titre sera mis à l'honneur sur un album, c'est bon signe. Ça veut dire que même si le LP en question ne possède pas forcément de toute grande chanson, il contient manifestement son lot de morceaux solides. Appelons donc désormais ce phénomène « syndrome de Silly Boy Blue » : l'artiste nantaise, en effet, nous fait aujourd'hui le coup pour la seconde fois. "Breakup Songs", son galop d'essai de 2021, était déjà un album impeccable de constance et un de mes chouchous de l'année. Ana Benabdelkarim confirme avec l'art et la manière sur "Eternal Lover", qui passe avec brio l'épreuve du « difficile deuxième album » et la consacre parmi les songwriteuses sur qui on sait qu'on pourra compter.
Ce n'est pas pour rien qu'Ana tire son nom de scène d'une vieille chanson de David Bowie dans sa période pop psychédélique. Dans sa musique à elle aussi, les couleurs sont vives et le scope est large, sans pour autant impressionner par des effets de manche pseudo-épiques. Silly Boy Blue a tout d'une artisane, comme l'attestent ses concerts tout en humilité, mais ses chansons n'ont rien de modeste. Elles rayonnent d'une lumière pâle et froide, comme la chanteuse le fait sur cette magnifique pochette où l'on reconnaît immédiatement la patte des photographes Pierre & Gilles.
Il y a, sur les disques de Benabdelkarim, une aura qu'on a déjà croisée chez The Dø ou Lilly Wood & the Prick. Deux duos mixtes dont les chanteuses, comme Ana, sont des Françaises d'origine étrangère. Et tout comme Ana, échappée de Pégase, ces chanteuses ont voulu voler de leurs propres ailes en solo. Mais si elles ont fait, musicalement, le mauvais choix, Silly Boy Blue a en revanche trouvé sa voix. Et quelle voix ! À l'instar de ses consœurs, c'est bien là que se trouve le premier atout de séduction de notre artiste du jour. Un timbre enveloppant, à la fois fragile et assuré, un peu garçon manqué forcément... et qui fonctionne à merveille quand Silly Boy Blue est d'humeur pop nocturne (Sparks, qui vous fera comprendre les références précitées).
Mais c'est définitivement dans ses moments les plus torturés qu'Ana exploite tout le potentiel émotionnel de cet organe hors normes. Ainsi, le superbe Stalker prend à rebrousse-poil le modus operandi des morceaux d'habitude bien vénères dédiés au consentement. En inversant les genres – à supposer qu'elle parle d'un garçon – et en se mettant à la place de la harceleuse, Silly Boy Blue en fait une affaire d'amour déçu avant que de prédation. À l'arrivée, on a ce qui pourrait bien être ma chanson préférée de cet album où chaque chanson est ma préférée.
Commentaires